dimanche 1 août 2010

Mieux vaut un repas sans viande qu'une maison sans bambous



可使食无肉,不可使居无竹;
无肉令人瘦,无竹令人俗。
人瘦尚可肥,俗士不可医;
傍人笑此言,似高还似痴。
若对此君仍大嚼,世间那有扬州鹤?

苏东坡 (Su Dongpo, 1037-1101)

Mieux vaut un repas sans viande qu'une maison sans bambous ;
Sans viande l'homme maigrit, sans bambous il devient vulgaire.
L'homme amaigri peut toujours regrossir, l'homme vulgaire est incurable ;
Le badaud qui rit à ces mots, il semble brillant tout d'abord, mais stupide après réflexion。
Si l'on continue à manger à pleine bouche devant cet homme de bien, serait-ce qu'il existe en ce monde une grue de Yangzhou ?

Su Dongpo

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Quelques remarques à propos du dernier vers : 若对此君仍大嚼,世间那有扬州鹤?

此君 - Le bambou est tenu en si haute estime dans la culture chinoise qu'il n'est pas rare de le trouver personnifié. Les 3 autres végétaux personnifiant de même, la vertu, la droiture et la bienveillance caractéristiques de l'homme de bien (君子) sont le prunier (梅), l'orchidée (兰) et le chrysanthème (菊). D'après la Biographie de Wang Hui dans le Livre des Jin (《晋书•王徽之传》, Wang Hui, fils d'un célèbre calligraphe de la dynastie Jin, avait hérité de son père son goût pour l'art et sa passion du bambou. Alors qu'il résidait provisoirement loin de chez lui, il donna l'ordre de planter du bambou près de la demeure où il séjournait. 有人对他说:“你在这儿住不了几天,何必要种上竹子呢?”王徽之指着屋旁的竹子说:“何可一日无此君!”此后,“此君”就成了“竹子”的雅号。"Pourquoi faire planter du bambou alors que vous ne séjournez ici guère plus de quelques jours ?" lui demanda-t-on. Montrant le bambou près de la maison, Wang Hui répondit : "Comment passer un seul jour sans cet homme de bien ?" Depuis lors, "cet homme de bien" (“此君”) est le sobriquet par lequel on désigne le bambou.

扬州鹤 - On raconte qu'il y a bien longtemps, plusieurs hommes qui s'étaient réunis entreprirent d'exposer chacun ce à quoi il aspirait. L'un d'entre eux confia qu'il aspirait à devenir le gouverneur de Yangzhou ; un autre qu'il aimerait devenir riche ; un autre encore qu'il rêvait de chevaucher une grue à crête rouge et de traverser le ciel comme un être céleste ; le dernier déclara qu'il souhaitait, pour sa part, emporter avec lui d'énormes richesses et se rendre à Yangzhou en chevauchant une grue. (“ 愿腰缠十万贯,骑鹤上扬州。”) A lui tout seul, il désirait donc accomplir ce que souhaitaient tous les autres réunis. Depuis lors, on utilise l'expression "grue de Yangzhou" (扬州鹤) pour parler d'une aspiration déraisonnable et extravagante, ou pour désigner quelque chose qui correspond parfaitement à l'idéal d'une personne.

大嚼 - A noter également, une autre expression intéressante, mariant mastication à pleine bouche et idéaux : 过屠门而大嚼 (se nourrir d'illusions / se bercer d'illusions), littéralement entrer dans la boucherie et mâcher à pleine bouche (manger à pleine bouche). Se dit de celui qui nourrit des idéaux ou des désirs irréalistes, qui prend ses rêves pour des réalités.


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Qui peut réellement apprécier les bambous en mangeant de la viande goulûment ? demande Su Dongpo, grand amateur de bambous et de viande !

En effet, Su Dongpo aimait la viande au point qu'une recette à base de viande lui doit son nom (东坡肉, viande Dongpo - cliquez ici pour la recette et les explications en images). D'un autre côté, le grand poète appréciait également le bambou, dont le coeur vide représente la modestie (虚心) et qui symbolise par ailleurs l'homme vertueux (君子, l'homme de bien), de par sa flexibilité, sa constance et sa résistance (le bambou ne craint ni le gel, ni la neige, et reste luxuriant en toute saison.) Le bambou est ainsi un sujet de choix dans la poésie et la peinture ; indispensable au lettré, on le plantait près de la pièce où l'on se consacrait à l'étude et à la calligraphie. Il symbolise encore la culture livresque puisque les premiers livres étaient constitués de lattes de bambou reliées entre elles. Enfin, les jeunes pousses de bambou sont comestibles.
L'intérêt qu'offre le bambou prévaut donc, et de loin, sur celui de la viande !

Il faut être bien présomptueux pour manger de la viande alors que l'on a des bambous devant soi, car peut-on tout avoir ? N'est-il pas inconscient ou sot celui qui prétend être tout à la fois gouverneur de Yangzhou et un Immortel capable de traverser le ciel sur le dos d'une grue ? Et s'il faut choisir...
Vertu vaut mieux que richesse.

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