Les homophones sont beaucoup plus nombreux dans les langues asiatiques et en particulier en chinois mandarin que dans les langues occidentales telles que l'anglais ou le français car ces dernières utilisent davantage de syllabes. Ainsi, alors que l'anglais possède environ 10000 syllabes différentes, on en compte seulement autour de 1250 en mandarin si l'on distingue les tons, et environ 400 si l'on ne distingue pas les tons. Cette grande fréquence des homophones en putonghua, qui constitue l'une des particularités de la langue, a marqué en profondeur la culture chinoise : les homophones occupent dès lors une place singulière dans les usages et les traditions.
Certains homophones sont utilisés à des fins propitiatoires, comme le fait de coller le caractère 福 (fú, chance) à l'envers sur la porte de la maison à l'occasion du nouvel an afin d'attirer sur les membres du foyer la bonne fortune, car "fú à l'envers" (福倒了) se prononce comme 福到了! (fú dào le! La chance arrive !). D'autres homophones, au contraire, sont associés à des usages conjuratoires, voire donnent naissance à des tabous. Par exemple, on évite de partager une poire avec une personne qui nous est chère car partager une poire (分梨) se prononce "fēn lí", homophone du mot "séparation" (分离) !
Les homophones et quasi-homophones se rencontrent aussi fréquemment dans les expressions idiomatiques à double volet (歇后语, xiēhòuyǔ), nous l'avons vu dans un précédent billet avec la grenouille qui saute dans un puits en faisant "plouf", onomatopée dont la prononciation (扑通, pūtōng) est parophone de "je ne comprends pas" (不懂, bù dǒng), constat ou aveu que l'on peut ainsi formuler à mots couverts au moyen de cette expression imagée. Il en existe de nombreuses autres, plus astucieuses et amusantes les unes que les autres, dont voici un aperçu :
1°) 八月十五蒸年糕——趁早(枣)
Bāyuè shíwǔ zhēng niángāo —— chènzǎo
Gâteaux vapeur du Nouvel An le 15 août —— Dès que possible !
( Jeu entre '蒸年糕' et '蒸枣糕', dont la sonorité évoque '趁早')
2°) 背手上鸡窝——不简单(拣蛋)
Bèi shǒu shàng jīwō —— bù jiǎn dàn
Qui se rend au poulailler les mains dans le dos ne ramasse pas d'oeufs !
(不简单 = Ce n'est pas simple)
Deux autres exemples traduits sont proposés à la page 13 de la présentation Powerpoint dont le lien est donné plus bas. Mais en attendant, je vous laisse savourer tranquillement les xiehouyu suivants :
3°) 背着粪篓满街串——找死(屎)
4°) 鼻梁上推小车——走投(头)无路
5°) 鼻子下面挂电灯——闻名(明)
6°) 扁担挑柴火——心(薪)挂两头
7°) 孕妇过独木桥——铤(挺)而走险
8°) 豁牙子拜师傅——无耻(齿)之徒
9°) 何家姑娘嫁给了郑家——正合适(郑何氏)
10°) 皮皇帝的妈妈——皮太厚(皮太后)
Les homophones posent par ailleurs de croustillants problèmes lorsqu'ils mettent en jeu les noms de famille. Il existe ainsi un hit-parade des patronymes chinois les plus embarrassants à porter... tels 苟, Gǒu, homophone de 狗 (chien) qui vous conduira à appeler Monsieur Gou, votre aîné, "老狗" (lǎo gǒu, vieux chien) ; 卞, Biàn, homophone de 便 (être soulagé) qui vous conduira à appeler le jeune Bian "小便" (xiǎobiàn, uriner) ; ou encore 姚, Yáo, homophone de 窑 (maison close) qui vous conduira à appeler Mademoiselle Yao "窑姐" (yáojiě, prostituée)...
Les jeux de mots basés sur les homophones offrent ainsi un éventail d'insultes extraordinairement large et haut en couleurs, dans lequel puisent sans vergogne les dialogues comiques (相声, xiàngsheng).
Pour terminer, comment résister au plaisir de partager avec vous ces désopilantes répliques de sketches comiques, dont le principe est de poser une devinette en jouant sur des caractères homophones ?
1°)
甲:什么山不能爬?
已:赵本山不能爬。 (Zhao Benshan est un célèbre acteur comique)
2°)
甲:什么江不能游?
已:潘长江不能游。(Pan Changjiang, autre acteur comique chinois, surnommé le Mr Bean chinois)
3°)
甲:什么店不能住?
已:雷电不能住。
4°)
甲:什么湖不能游?
已:茶壶不能游。
5°)
甲:什么尺不能量长短?
已:牙齿不能量长短。
Si le coeur vous en dit, vous pourrez poursuivre cette réflexion en feuilletant la présentation au format Powerpoint qui m'a servi de support visuel lors de l'exposé consacré aux jeux de mots basés sur les homophones en chinois mandarin, présenté à l'occasion du séminaire de préparation du colloque "Traduire l'humour" à l'Université d'Aix-en-Provence, le 23 avril dernier. Vous y trouverez notamment (page 22) des propositions de traduction - ou d'adaptation - en français des échanges comiques #4 et #5 qui précèdent.
Ce badinage avec les jeux de mots chinois se prolongera certainement lors d'un article ultérieur consacré aux 对联 (duìlián, couplets antithétiques).
J'avais beau lire plein de pages sur les caractères
RépondreSupprimeraucune ne répondait à ma question sur le nombre de mots possibles en chinois ou, posée à l'envers, sur la prévalence de l'homophonie car toutes partent du caractère comme s'il contenait le sens (et il le contient, bien sûr, d'une certaine manière)
c'est encore pire qu'en français, ou autre langue alphabétique, cette approche anti-linguistique
car dans nos langues les gens, même non linguistes, voient bien que le mot écrit n'est tout de même qu'une retranscription du mot parlé
dans ces langues à caractères, les spécialistes sont eux-mêmes frappés, hypnotisés par la valeur sémantique du caractère et ont beaucoup de mal à s'y intéresser, par exemple en partant du mot sonore pour aller vers quels caractères le notent
merci et bravo